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Justice islandaise et banquiers criminels

Justice islandaise et banquiers criminels

18 janvier 2016
Traduction par Jean-Maxime Corneille, article exclusif initial pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook” 

Le 15 septembre 2008, un ancien Président de Goldman Sachs, le Secrétaire au Trésor américain Henry Paulson, déclencha délibérément une crise financière mondiale prévisible, lorsqu'il décida de rompre un précédent en laissant Lehman Brothers, la quatrième plus grosse banque d'investissement de Wall Street, faire banqueroute. Les raisons de sa décision seront pour une autre fois. Les retombées de cette crise financière restent très traumatisantes pour le système financier mondial, encore aujourd'hui, plus de sept années après les faits. L'une des victimes les moins remarquées de cette débâcle de Lehman Brothers, fut l'un des plus petits pays du monde : l'Islande, qui connut la pire crise banquière de son histoire. La façon dont ce pays de 323.000 citoyens choisit alors de traiter cette crise, demeure cependant un modèle aujourd'hui pour le reste du monde. Plutôt qu'une adoration béate devant les banquiers criminels responsables de la pire crise financière de l'histoire, le peuple d'Islande fit quelque chose de tout à fait différent.

L'Islande, une magnifique île nordique au nord de l'océan Atlantique, entre le Groenland et la Norvège, avec des volcans actifs et des torrents où peuvent être trouvé les saumons sauvages les plus délicieux, non issus de l'élevage industriel, et non génétiquement modifiés... Ce pays autosuffisant avec ses sources thermales et son énergie hydroélectrique, fut attiré dans la folle frénésie cupide de la crise de l'immobilier américain des subprimes, et fut ainsi lourdement obéré. En Octobre 2008, au milieu du Tsunami financier mondial déclenché par la décision de Paulson concernant Lehman, le gouvernement de l'Islande nationalisa les trois plus grandes banques privées : Glitnir, Kaupthing et Landsbanki, des suites d'une course au guichet des déposants paniqués. Ces trois banques, en peu d'années après qu'elles eurent été privatisées, avaient réussi à amasser des dettes dix fois supérieures au PIB annuel islandais.

Lorsqu'un groupe d'économistes américains sensés, proposa à Paulson de nationaliser les plus grandes banques de Wall Street qui étaient derrière la crise (JP Morgan Chase, Citigroup, Bank of America, Goldman Sachs), afin de restaurer l'ordre et de faire en sorte que le crédit continue à alimenter l'économie réelle, il répondit que cela constituerait du « socialisme. Nous ne faisons pas cela en Amérique ». À la place de cela, le Secrétaire au Trésor américain Paulson utilisa des centaines de milliards provenant des contribuables américains, afin d'acheter des actions sans droit de vote des banques de Wall Street, signifiant ainsi que le gouvernement n'exigerait aucune influence dans les politiques de ces banques en retour. Ceci aurait plutôt dû s'appeler en fait le « socialisme des banquiers » : privatiser les profits et socialiser /mutualiser les pertes1.

En novembre 2008, les investisseurs britanniques et néerlandais au sein d'un plan d'épargne aujourd'hui défunt de la Landsbanki, "Icesave", se trouvèrent face à une situation où leurs centaines de millions de livres sterling d'investissements se trouvaient bloqués comme s'ils avaient été pris dans la glace : leur épargne était en effet gelée. Lorsque le gouvernement britannique exigea du gouvernement islandais le remboursement des dépôts au sein de la branche britannique de la banque Landsbanki anciennement privée, ceci devint un litige international, connu sous le nom de "litige Landsbanki". Le gouvernement britannique invoqua une législation antiterroriste contre l'Islande, afin de geler les actifs basés en Angleterre de Kaupthing, la plus grosse banque d'Islande, engendrant la banqueroute de cette banque. Le gouvernement de l'Islande se retourna alors vers le FMI afin d'obtenir un sauvetage de 5 milliards de dollars, étant ainsi le premier pays européen à le faire depuis l'Italie en 1976.

La révolte des citoyens.

Le Gouverneur de la Banque Centrale d'Islande, David Oddsson, s'éleva alors contre le gouvernement de Geir Haarde, qui s'était rendus complice en facilitant les schémas de Ponzi criminels des banquiers, et déclara à la télévision nationale que « les Islandais ne paieront pas les dettes des financiers prodigues2». En janvier 2009, la coalition Haarde fut forcé de démissionner après des manifestations massives de chômeurs, le taux de chômage ayant bondi de 1% avant la crise à 9 % en quelques mois. Le FMI, comme toujours, exigeait une sévère austérité "à la grecque" de la part du gouvernement, en tant que condition à son intervention. En septembre 2010, Haarde devint le Premier Ministre en Islande à être mis en examen, pour faute professionnelle commise dans l'exercice de ses fonctions, et fut ainsi le seul politicien dans le monde à être chargé de la responsabilité de la crise financière. Il fut jugé devant une Cour spéciale pour les violations officielles le Landsdómur, qui établit sa culpabilité en vertu de ses chefs d'accusation.

Le gouvernement Haarde avait négocié par deux fois des termes, selon lesquels l'Islande aurait eu à rembourser les gouvernements anglais et néerlandais, avec intérêt, dans l'affaire du sauvetage de l'Icesave. Le FMI exigea ceci en tant que condition pour que soit obtenu son argent, et le Parlement s'inclina. Mais les électeurs farouchement indépendants de l'Islande, votèrent par deux référenda, le rejet des exigences tant néerlando-britanniques que provenant du FMI. Sous le programme d'austérité imposé par le FMI, avant qu'il ne prenne fin en 2011, l'Islande entra alors dans une dépression économique. Le revenu moyen chuta d'un quart, et 30.000 personnes (1/10 de la population) connurent de sérieux défauts de paiement sur leur prêt ; des milliers de maisons furent reprises3.

En avril 2013, le Premier Ministre de 38 ans Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, fut élu sur la promesse de l'allégement des hypothèques pour chaque propriétaire, plutôt que le soulagement pour les détenteurs d'obligations des banques étrangères au sein des trois banques d'Islande ayant fait défaut. Son gouvernement laissa ainsi les porteurs d'obligations et dépositaires internationaux dehors dans le froid, tandis que son gouvernement et les administrateurs de la banque islandaise gelait quelques 9 Millions de Livres sterling d'actifs étrangers au sein de ces trois banques, déjà détenus à l'époque des nationalisations4.

Le nouveau Ministre des Finances imposa alors une taxe de 30 % aux islandais désireux d'investir de l'argent à l'étranger, de même que des contrôles des capitaux imposés, ce qui correspondait à un mouvement en vue de stabiliser la monnaie islandaise. De façon plus révélatrice, le gouvernement mit la priorité sur le sauvetage de son peuple et de son économie, et poursuivit même jusqu'à les mettre en prison les banquiers privés et les politiciens responsables de la crise : un contraste diamétralement opposé à la situation des États-Unis et de l'UE, où les gouvernements utilisèrent l'argent des contribuables afin de renflouer les banques criminelles, qui étaient les premières responsables de la fraude.

Mettez en prison les banquiers corrompus!

Le 15 novembre 2015, les cours islandaises condamnaient leur vingt-sixième banquier impliqué dans le scandale qui éclata en septembre 2008. Les banquiers qui allèrent en prison furent accusés de toute une gamme de crimes allant du délit d'initié à la fraude, en passant par le blanchiment d'argent, la tromperie sur les marchés, la violation des obligations fiduciaires, de nombreux autres mensonges aux autorités et manipulations de marché à fin de détournement de fonds. Combinées ensemble, ces 26 banquiers mis en prison vont avoir à passer 74 ans derrière les barreaux. De même qu'à cette date, des amendes criminelles totalisant 212 Miliards de dollars ont été imposées aux 20 plus grandes banques. D'autres banquiers attendent encore leur procès5...

Par contraste, au sein du groupe bancaire britannique HBOS [Halifax-Bank of Scotland], la plus grande banque de prêt hypothécaire britannique, les contribuables britanniques furent forcés à un sauvetage de 29 Milliards de dollars. Le seul acte d'autorité de l'Autorité aux Services Financiers [Financial Services Authority] britannique, fut contre le dirigeant des prêts aux entreprises qui fut pénalisé de 500.000 £, et banni de l'industrie des services financiers, et contre le directeur de HBOS qui perdit son titre de chevalerie (quel déshonneur!). Au sein de la Royal Bank of Scotland en faillite, elle aussi sauvée par les milliards des contribuables, son dirigeant Fred Goodwin perdit lui aussi son titre de chevalerie. Il avait été fait chevalier en 2004 en tant que récompense pour "services [rendus] à la banque ["services to banking]". Aux États-Unis, on n'a pas même été entendu un murmure de charges criminelles pesant contre les directeurs et PDG de JP Morgan Chase ou Goldman Sachs ou encore Citigroup. Les amendes du gouvernement contre des banques variées ont été radiées, et les mêmes criminels qui en Islande ont été mis derrière les barreaux, furent laissés en liberté aux États-Unis.

La différence de l'Islande.

Aujourd'hui l'Islande est un modèle économique à succès, à l'exact opposé du modèle imposé par le FMI à la Grèce, étranglant tout par une brutale austérité. Il s'agit du premier et seul pays européen à avoir aujourd'hui dépassé les niveaux de 2007, c'est-à-dire d'avant la crise. Le PIB a grimpé durant ces six derniers mois de 2015, au rythme impressionnant de 5,6 %. L'inflation est tombée de 18 % début 2008 à 2 % en 2015. La dette nationale est passée de 88 % du PIB en 2010 à 81 %, au-dessous de la plupart des niveaux des autres membres de l'UE. En mars 2015, le gouvernement islandais a officiellement retiré sa candidature en vue de rejoindre l'Union Européenne, et fut le seul pays à l'avoir jamais fait.

Le Président islandais, Ólafur Ragnar Grímsson, expliquant les sentiments de ses compatriotes : « nous fûmes assez sages pour ne pas suivre les prévisions orthodoxe des économistes habituels du monde financier occidental durant les 30 dernières années. Nous avons introduit des contrôles des devises, nous avons laissé les banques s'effondrer, nous avons fourni du soutien aux pauvres, et nous n'avons pas introduit de mesures d'austérité telles que nous les voyons en Europe. Pourquoi donc les banques sont-elles considérées comme des églises sacrées au sein de l'économie moderne? Pourquoi donc les banquiers privés ne sont pas comme les compagnies aériennes ou les compagnies de télécommunications, auxquelles on permet de faire banqueroute, si elles se sont conduites de façon irresponsable ? La théorie selon laquelle vous devez absolument sauver les banques, est une théorie qui permet de fait aux banquiers de jouir de leurs profits et de leurs succès, et de laisser parallèlement le peuple ordinaire porter leur faute à travers les taxes et l'austérité.6 »

Nous pourrions dire que tout ceci est vrai. Est-ce alors que nous autres serions devenus stupides, ou bien quoi ?

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1 F. William Engdahl a parfaitement décrit la naissance de ce phénomène au tournant des années 1970 et surtout 1980 : « Pétrole une guerre d'un siècle » (Jean Cyrille Godefroy, 2007, Chap.11, p.203).
2 Wikipedia, Timeline of the Icelandic financial crisis, https://en.wikipedia.org/wiki/Timeline_of_the_Icelandic_financial_crisis
3 Simon Bowers, Iceland rises from the ashes of banking collapse, October 6, 2013, http://www.theguardian.com/world/2013/oct/06/iceland-financial-recovery-banking-collapse.
4 Ibid
5 Ian Birrell, Iceland has jailed 26 bankers, why won't we?, UK Independent, 15 November 2015, http://www.independent.co.uk/voices/iceland-has-jailed-26-bankers-why-wont-we-a6735411.html
6 Maurice Bedard, Iceland Sentences 26 Corrupt Bankers To 74 Years In Prison, January 8, 2016, http://www.loansafe.org/iceland-sentences-26-corrupt-bankers-to-74-years-in-prison

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